Sur une échelle de 1 à 10, à combien évaluez-vous les connaissances que vous aviez des outils d’enseignement numériques disponibles avant l’arrivée de la pandémie?
Depuis le début de la pandémie, on a salué avec raison le travail colossal du milieu de la santé et du personnel des services essentiels pour protéger les citoyens contre le coronavirus. Ce dont on a moins parlé, c’est du tour de force réalisé par les enseignants du Cégep Garneau qui, malgré la fermeture de l’établissement, ont revu méthodes et façons de faire pour permettre aux étudiants de terminer leur session avec un enseignement de qualité. Chapeau à tous pour un défi relevé avec brio!
Quelques enseignants ont accepté de témoigner de leur expérience en répondant à nos questions. Voici ce que nous avons recueilli :
- Benoît Fortin (B. F.) – enseignant de Toxicomanie à quelques 90 étudiants de 2e année pour la majorité inscrits en Techniques d’intervention en délinquance (TID);
- Martine Plante (M. P.) – enseignante en Contactologie d’une vingtaine d’étudiants (12 en 4e session et 9 en 5e session) inscrits en Techniques d’orthèses visuelles;
- Julie Marcotte (J. M.) – enseignante en Histoire de l'art à près d'une centaine d'étudiants en 2e session de design d'intérieur et 26 étudiants du cours complémentaire "Expérimenter le collage : du fragment à l'oeuvre";
-Arianne Gagné Gauvin (A. G. G.) – enseignante en Intervention de réinsertion sociale (92 étudiants en 4e session TID), Introduction à la criminologie (28 étudiants en 2e session TP) et 2 étudiants en stage en TID.
1 - Sur une échelle de 1 à 10, à combien évaluez-vous les connaissances que vous aviez des outils d’enseignement numériques disponibles avant l’arrivée de la pandémie?
B. F. : Je dirais 7,5 sur 10, déjà une bonne base dans l’ensemble, plus avancé dans certains logiciels et néophyte dans d’autres.
M. P. : 7/10
J. M. : Avant la pandémie, je me débrouillais avec les outils habituellement utilisés en classe, mais sans réelle motivation ou besoin d’en explorer de nouveaux. Alors pour répondre à la question, disons 3/10.
A. G. G. : Mes connaissances se situaient à 5/10. J'avais déjà utilisé la plateforme Teams à l'automne 2019, mais j'étais loin d'en connaître toutes les possibilités! J'avais également eu mon baptême avec Office 365.
2 - Quel est le principal défi que la transition de vos méthodes d’enseignement in situ à celles à distance a posé?
B. F. : L’évaluation habituellement en classe, sous forme d’examen traditionnel compte tenu que les objets d’apprentissage étaient de nature connaissance déclarative, n’ayant pas la possibilité de faire un examen sous surveillance, la créativité a été de mise!!!
M. P. : Certainement de conserver la motivation des étudiants et le lien déjà créé avant la relâche.
J. M. : Pour moi, ça été de trouver rapidement le format qui me semblait le plus pertinent, le fun et motivant possible à adopter pour la présentation des contenus théoriques. Inspirée par la popularité des séries sur Netflix et cie pendant le confinement, j’ai choisi de concevoir mes cours en ligne dans un format un peu similaire à une émission de télé; chaque capsule commence par une diapo introduisant le sujet du cours sur une trame musicale (différente à chaque fois !), suivi d’un enjoué « Allo ! Aujourd’hui, je te parle du…. ».
A. G. G. : Le principal défi aura sans aucun doute été la réorganisation de l'ensemble des cours. J'ai dû réfléchir aux moyens de transmettre la matière, vérifier la compréhension des étudiants et évaluer les acquis. J'ai dû repenser l'ensemble du cours; du contenu jusqu'aux activités pédagogiques, en passant par les évaluations. Le tout en peu de temps et avec peu d'outils et de connaissances de l'enseignement à distance.
Enregistrer une capsule vidéo, ce n'est pas comme livrer du contenu en classe. Cela demande beaucoup de préparation. Ça doit être clair et complet du premier coup parce que les étudiants n'ont pas la chance de poser des questions immédiatement. Ça doit être court, dynamique et concret pour maintenir l'intérêt et la motivation des étudiants. Et ça doit répondre à nos objectifs pédagogiques, afin que ce soit efficace.
Avec la méconnaissance des outils technologiques et la vitesse grand V à laquelle nous avons dû nous adapter, cela a été tout un défi!
3 - Quel outil avez-vous privilégié pour terminer la session et pourquoi?
B. F. : Teams/Zoom. Teams m’a permis de regrouper dans un seul et même endroit tous les éléments nécessaires à la poursuite de mon cours. Les publication de groupe et privées servaient de messagerie, le bloc-notes de classe pour la distribution des contenus de cours à la semaine, des notes de cours et des exercices formatifs et sommatifs. Un onglet dans ma page amenait les étudiants vers les tutoriels/vidéos du cours. L’espace collaboratif m’a permis également de prévoir des horaires pour des rencontres de sous-groupes. Zoom a servi pour les rencontres synchrones de grands et petits groupes.
M. P. : Pour le cours de contactologie 3, je partageais le cours avec une collègue, nous avons choisi Moodle parce que nous étions tous les deux à l’aise avec la plateforme. De plus, c’était logique de continuer avec ce qui était déjà utilisé avant la relâche. Pour le cours de contactologie II, j’utilisais déjà OneNote avec le Bloc-Note de classe et un peu TEAMS, j’ai donc continué avec cette plateforme.
J. M. : Après avoir exploré ActivePresenter, j’ai plutôt opté pour Screencast-O-Matic qui, à mes yeux, était plus convivial pour la production de capsules vidéo. Avec cet outil, parce que je souhaitais garder l’effet de familiarité de la classe traditionnelle, j’ai tenté de reproduire ce qu’un.e étudiant.e. voit lorsqu’il /elle assiste à un cours en présentiel ; la prof parlant à sa classe alors qu’elle est placée devant les images projetées sur un écran. Alors, en numérique, je me suis incluse en superposition aux images, en vignette non encadrée. Je me suis beaucoup amusée avec l’utilisation d’un « fond vert » pour réaliser cet effet.
A. G. G. : J'ai travaillé avec Teams exclusivement pour différentes raisons. Premièrement, j'avais le souci de simplifier les choses pour les étudiants et la façon que j'ai trouvée a été de leur imposer de s'approprier une seule plateforme. De plus, j'avais déjà une connaissance (très de base) de cette plateforme. Considérant qu'Omnivox était lent et peu efficace au début de la reprise des cours, j'ai misé sur facebook pour rejoindre mes étudiants et leur donner des consignes afin d'utiliser exclusivement par la suite la plateforme Teams. De plus, Teams donne la possibilité de travailler avec les outils de la suite office 365, comme forms, sway et autres.
4- Qu’avez-vous découvert sur le numérique ou l’enseignement que vous intégreriez dans vos méthodes en classe?
B. F. : Je donnerais accès à plus de contenu pour l’étudiant qui veut aller plus loin ou pour celui qui a besoin de revoir certaines notions pour mieux l’intégrer. Les espaces collaboratifs pour apporter plus de synergie entre les étudiants seraient également une avenue à explorer. Les vidéos/tutoriels aussi.
M. P. : J’ai vite réalisé que TEAMS répondait vraiment bien aux besoins numériques. C’est tellement rapide et efficace pour répondre aux questions. Aussi, je ne réponds presque plus aux questions par écrit, je trouve plus efficace de demander aux étudiants une capture d’écran de la question à laquelle je réponds avec une vidéo sur Screencast-O-Matic ou avec ActivePresenter. Je peux ensuite insérer la vidéo dans le clavardage sur TEAMS directement à l’étudiant un peu comme si je lui répondais en personne. Si la réponse est pertinente pour tous, je la transfère au groupe. Au début, les étudiants avaient tendance à m’envoyer un MIO, c’était difficile pour eux de penser à utiliser TEAMS, mais une fois en ligne certains m’ont mentionné qu’ils ont vraiment découvert les avantages de TEAMS.
J. M. : Plusieurs choses ! Avant la pandémie, j’avais une grande réticence à demander une remise numérique des travaux. Maintenant que j’en ai expérimenté les multiples avantages, je ne crois pas revenir à des remises de travaux papier. Par contre, la correction est plus exigeante pour les yeux et nécessite donc plus de pauses. Aussi, j’ai adapté certains sommatifs; ils ont pris la forme de questionnaires. Je souhaitais qu’ils soient à la fois clairs et agréables à compléter pour l’étudiant et efficaces à corriger. L’utilisation d’éléments simples, comme par exemple quelques couleurs ainsi que la surbrillance a, je crois, rendu les questionnaires plus conviviaux. Enfin, j’ai réalisé qu’avec le numérique, « l’interférence » de l’écriture du prof parfois difficile à lire est inexistante. Ça peut paraître moins chaleureux; la « griffe » du prof n’y est pas, mais reste que les commentaires sont plus aisés à comprendre. Pédagogiquement, selon moi, l’étudiant peut apprendre beaucoup des commentaires de son prof sur sa copie.
A. G. G. : Il y a deux découvertes que je compte maintenir dans mon enseignement en classe. J'ai découvert que les capsules vidéo peuvent être utiles, par exemple pour bonifier les explications en lien avec un travail à réaliser ou offrir un complément de contenu sur un sujet. Dans la suite office 365, Forms est un outil génial pour faire des exercices formatifs. On peut gagner du temps en classe puisque les questionnaires peuvent s'auto-corriger et on a accès aux statistiques de chacune des questions. Cela permet une rétroaction à l'élève et un retour efficace en classe par la suite sur ce que les étudiants ont moins bien compris.
5- Une leçon que vous tirez de cette expérience ou un conseil que vous donneriez à un nouvel enseignant qui devrait relever le même défi?
B. F. : Bien calibrer la charge des étudiants et la sienne, devoir travailler constamment devant un écran n’est pas du tout la même chose qu’en présentiel et il doit démontrer beaucoup de créativité pour réussir à garder ses étudiants motivés.
M. P. : Encadrer, encadrer, encadrer !
-Liste à faire sur Moodle ou sur TEAMS, un suivi et une rétroaction régulière à chaque semaine pour ne pas les perdre;
-TEAMS pour communiquer et conserver un lien avec les étudiants.
-Des capsules théoriques de 5 minutes idéalement, un maximum de 20 minutes, des mises en application pour vérifier que c’est compris. Le reste de la théorie en lecture. Il est préférable d’avoir 3 capsules de 5 minutes qu’une seule de 15 minutes !
-Plusieurs formatifs; papier, tests Moodle, Forms ou Socrative;
-Des examens en ligne les plus concis possible;
-Périodes de questions hebdomadaires sur un contenu précis sur ZOOM enregistrés pour les rendre disponibles aux étudiants absents. Demander d’envoyer les questions avant la rencontre ZOOM si possible pour préparer les documents nécessaires.
J. M. : De se donner l’occasion, mais surtout le temps d’explorer les outils numériques, même ceux qui nous semblent peu attrayants au premier abord…
A. G. G. : Après la fin des cours, j'ai sondé mes étudiants pour savoir ce qu'ils ont apprécié et moins apprécié de la formule offerte. Un aspect est ressorti et m'a surpris. Ce fut les commentaires positifs des étudiants sur les publications que je prenais la peine de faire à chaque semaine sur Teams, une ou deux fois par semaine. Même si je n'avais rien de particulier à leur dire, je leur parlais de l'échéancier, leur envoyais un mot d'encouragement, je mettais en lumière un fait de l'actualité ou je leur conseillais simplement de s'accorder un moment de pause pour profiter du soleil. J'ai été très active et présente sur la plateforme et c'est l'élément qui est le plus ressorti des commentaires positifs des étudiants. Ils ont eu l'impression que je ne les laissais pas tomber et que je me souciais d'eux. Ce contexte a été difficile pour nous tous, générateur d'anxiété, obligeant pour ma part la conciliation travail famille et nécessitant beaucoup de temps dans la restructuration de la session. Il l'a été également pour les étudiants. Donc la leçon que je tire est l'importance de prendre soin de soi et de ne pas oublier ceux qui nous entourent. Ça peut faire toute la différence.
6- Un souhait si l’enseignement à distance devait perdurer?
B. F. : Que ma retraite arrive!!! Non sans blague, ça ne peut pas perdurer à distance à 100 % sans perdre des éléments importants de l’apprentissage. La distance amène un manque de spontanéité. Il manque le « ciment » que l’on peut apporter en classe suite aux questions/réactions non-verbales et commentaires qui ne viennent pas beaucoup par le biais des rencontres virtuelles. Donc mon souhait serait qu’on puisse au minimum avoir une bonne part de présentiel. J’ai moi-même fait plusieurs cours à distance lors de mes études universitaires et je confirme que le meilleur cours que j’ai eu à distance équivalait qu’à 75 % d’un cours ordinaire en présentiel…c’est plate mais c’est ça!
M. P. : Je souhaite une formule hybride tellement importante pour créer un lien avec les étudiants et trouver le temps pour améliorer l’interaction pour mes capsules ou autre contenu de cours. Avoir la possibilité de choisir ce qui peut se donner en ligne et ce qui doit se donner en présentiel.
J. M. : Continuer de développer des stratégies pour que l’enseignement à distance soit le plus convivial, chaleureux et motivant possible pour l’étudiant. Tout simplement.
A. G. G. : Le cégep a mis des choses en place pour nous aider et nous soutenir dans ce contexte difficile. Malgré tout, j'ai deux souhaits et je suis incapable d'en prioriser un, alors je vais les mentionner tous les deux. Mon premier souhait face à la poursuite de l'enseignement à distance serait qu'il soit possible d'effectuer des activités synchrones avec l'ensemble des étudiants. Cela permettrait un meilleur encadrement et favoriserait, à mon avis, leur réussite. Dans un second temps, j'aimerais que le temps investi afin d'adapter nos cours et d'offrir un encadrement adéquat à nos étudiants soit davantage reconnu par notre employeur et pas seulement par un mot de remerciement... C'est gentil et attentionné, la reconnaissance est là, mais elle n'est pas représentative de l'effort collectif colossal qui a été fait (et qui se poursuivra à l'automne) par l'ensemble des enseignants et enseignantes et du personnel qui nous soutient.